Voici quelques réponses aux questions (FAQ)

1) Pouvez-vous nous envoyer une reproduction de l'œuvre que vous avez effectué sur le mur de Berlin ?
J’ai peint environ 4 kilomètres du mur de Berlin. Elles font maintenant partie de la East Side Gallery :
http://www.galerie-noir.de/wall/index.htm

Voici un texte sur la East Side Gallery :
http://www.galerie-noir.de/ArchivesFrench/esfr.html

Il y a aussi les 80 dessins en format cartes postales qui étaient aussi sur le mur:
http://www.galerie-noir.de/Postkarten/index.htm

2) Quelle fut, vous, en tant qu'être humain, votre réaction face la chute du mur de Berlin ? Et quelle fut, en tant qu'artiste, votre réaction face à la chute du mur ?
Ma réaction en tant qu'artiste ou être humain, face à la chute du mur, a été la même. Cela a été un grand soulagement. La ville devenait plus grande, je n'habitais plus au bout du monde. Les gens étaient moins manichéens. La présence des soldats cédait la place à une vie normale. Je pouvais aller avec la poussette de ma fille juste de l'autre côté du boulevard (Bethaniendamm) pour aller au jardin d'enfant situé, avant novembre 1989, dans une ville inaccessible et pourtant juste en face de chez moi. Le mur disparu laissait la place à des rues inutilisées depuis 28 ans

3) Pourquoi avoir choisi le mur comme support pour peindre (quel était sa symbolique) ?
Le mur c'était l'angoisse sourde, une angoisse anti-spectaculaire, presque nulle. Il ne se passait rien près du mur. Une mélancolie au quotidien. Puis tout à coup... Clap! Le mur avalait sa proie pour se rendormir aussitôt... J'ai toujours dit que l'on pouvait peindre des kilos de peinture sur le mur, il resterait pour toujours une machine à tuer, un crocodile rôdeur qui n'attendait que le moment propice pour attraper sa proie. Voilà un texte là-dessus:

4) Et après la chute de ce mur, que symbolisait-il pour vous ?
Le mur de Berlin a été l'élément déclencheur qui m'a poussé à peindre. Sa présence était si oppressive qu'il m'a forcé à réagir. C'était surtout insolent de peindre le mur, mais depuis qu'il est tombé, ce geste a acquis encore plus de pertinence. Ça signifie qu'il est possible de s'en prendre ce qu'on considère intouchable, et en venir à bout, mais il ne faut surtout pas baisser les bras. Il faut risquer la confrontation. Je pense ici à la belle phrase de Rainer Maria Rilke: Tous les dragons de notre vie ne sont peut-être que des princesses qui attendent de nous voir beaux et courageux. (Lettres à un jeune poète). Ça doit être la même chose pour les crocodiles…

5) Vos œuvres, après la chute, ont-elles été inspirées de l'événement symbolique ?
Après la chute du mur, j'ai essayé de conserver la même technique de peinture, 2 idées, 3 couleurs, on mélange le tout et voilà, la peinture est finie. Cette façon de peindre dans l'urgence a beaucoup d'énergie, donc pas de raison d'en changer!

6) Maintenant, quels souvenirs gardez-vous de cet événement ?
Il est important de savoir qu'aucun mur n'a jamais été construit pour l'éternité. Voilà pourquoi nous avons fait une expo avec des restes du mur de Berlin à Nicosie (Chypre), entre le secteur grec et le secteur turc…

7) Quand vous avez peint sur le mur, ou à propos du mur de Berlin, que pensiez-vous ? Quel message souhaitiez-vous faire passer au public ?
La peinture sur le mur était automatiquement politique, et il était indispensable d'expliquer pourquoi, tout en peignant. Certaines personnes étaient agressives, et il fallait souvent leur répéter que nous n'étions pas engagés par la mairie de Berlin pour rendre la ville plus belle.

8) Pouvez-vous nous dresser un portrait de vous-même, et nous dire quelles ont été vos motivations pour vous diriger vers l'Allemagne ?
Je suis venu à Berlin en janvier 1982 avec deux petites valises, attiré par la musique de David Bowie, Iggy Pop, DAF, Nina Hagen et tant d'autres qui, à l'époque, habitaient à Berlin-Ouest. J'avais 23 ans et je voulais savoir pourquoi tous ces musiciens allaient à Berlin et non pas à Lyon où j'habitais à l'époque. À partir d'avril 1984, j'ai commencé à peindre des fresques sur le mur de Berlin. Avec les années, elles ont pris des proportions considérables et elles ont été rapidement reconnues sur la scène artistique internationale. On a compris qu'il ne s'agissait pas d'embellir le mur, mais de le démythifier. Ces peintures sont devenues l'expression de la liberté retrouvée, après la réunification des deux Allemagnes et la fin de la guerre froide.

9) Comment définiriez-vous le mur de Berlin, et la chute du mur de Berlin ?
Le mur a été construit pour empêcher les gens de partir, et ensuite démonté pour empêcher les gens de partir. Ça, c'est le paradoxe du mur.

10) Le mur est-il encore "présent" pour vous ?
Comme je le disais plus tôt, le mur, sa présence physique m'a provoqué, de façon presque viscérale, à peindre. De ce corps à corps avec le mur, je suis devenu celui que je suis aujourd'hui. Il est donc présent dans mon histoire personnelle, comme il l'est dans l'histoire de l'Allemagne et du monde.

11) Quelle est la dimension symbolique du mur et de la chute du mur ?
Dimension symbolique, c'est un bien grand mot, bien trop important pour désigner ce gros morceau de béton! La dimension symbolique, c'est justement ce que je voulais attaquer quand je peignais le mur comme s'il s'agissait de n'importe quel autre édifice. (Cesser d'avoir peur du monstre, c'est déjà le vaincre à moitié.) De toute façon on voit bien que depuis la disparition du mur, d'autres divisions moins tangibles ont apparu, entre l'Est et l'Ouest, entre classes sociales, etc. Il faudra arriver à mettre le doigt sur ces murs-là, et un coup bien identifiés, commencer à les démanteler eux aussi, par la beauté, par l'art. L'art a toujours servi a ça: se réconcilier avec l'horreur, et souvent la vaincre.

12) Vous étiez âgé de 22 ans quand vous êtes parti en Allemagne. Mais connaissiez–vous ce pays auparavant ? Parliez-vous la langue ? Ou bien est-ce seulement grâce à votre ami qui lui-même revenait de Berlin ?
Je ne connaissais pas l’Allemagne, mais j’avais beaucoup entendu parlé de Berlin. Berlin est venu à moi tout d’abord à travers mon copain vosgien qui y avait passé 6 mois. Il en était revenu avec un bon look, des belles chaussures, il me racontait des tas de trucs qu’il avait fait, j’en avais les yeux tout ronds. J’avais aussi entendu parlé de Berlin à travers la musique. David Bowie y avait passé un temps, Iggy Pop aussi. On parlait du Mouvement de squatters de Berlin (Tuwat, Tunix). Il y avait des manifestations violentes, il y avait eu des morts. Il y avait le film sur Christiane F. dont Bowie avait fait la musique. Il y avait le mouvement Nouvelle Vague Allemand (Neue Deutsche Welle): avec Nina Hagen et DAF. Je me demandais pourquoi tous ces gens allaient à Berlin et non pas à Lyon où j’habitais. Alors j’ai décidé en Janvier 1982 d’aller voir par moi-même pourquoi.

13) Comment avez-vous rencontré vos amis, Christophe Bouchet, Kiddy Citny… ? Ont-ils eu en même temps que vous la même motivation de peindre le mur ?
J’ai rencontré Christophe Bouchet et Kiddy Citny à Berlin. Il y avait à Berlin Ouest une bulle créative. Plein de gens différents venus d’horizons différents se sont retrouvés dans cette bulle. La vie avec le mur n’était pas si rose que cela et même pendant l’hiver très dur. Il fallait être créatif et le rester pour survivre la situation d’isolation artificielle, crée par le mur et une certaine schizophrénie crée par le mur. Je suis tombé dans cette bulle des le début de mon séjour. Cela n’était pas du tout une démarche intellectuelle mais plutôt une impression de faire quelque chose pour ne pas devenir mélancolique où bien sombrer dans la dépression, la Berliner Krankheit (La maladie de Berlin).

14) Avant de commencer à peindre le mur, avez-vous été influencé par quelqu’un, qui vous vous incite où vous donne l’idée de peindre ?
J’ai commencé à peindre le mur de Berlin en avril 1984, 2 ans après ma venue dans la ville. On peut dire que cela a été une lente compréhension de ce que était le mur. Une énorme machine à tuer, un espèce de crocodile qui de temps en temps se réveillait et mangeait une où plusieurs personnes pour se rendormir ensuite jusqu’à la prochaine fois. Il fallait que je fasse quelque chose contre ce mur, je vivais dans un centre de jeunes, dont les fenêtres donnaient directement sur le mur. Je voyais ce mur l’hiver, l’été, la nuit, le jour et ce n’était vraiment pas comme dans la chanson Berlin de Lou Reed de 1974, où il chantait :
It was so nice it was paradise, Berlin by the wall.

15) Quels étaient le genre de slogans inscrits sur le mur ? Quel style de dessins ? En couleur, noir et blanc ?
Sur le mur de 1984 il n’y avait que quelques petite peintures, surtout beaucoup de slogans politiques (RAF, anti-américains, squatters...) et aussi des slogans racistes contre les nombreux turques qui habitent dans le quartier de Kreuzberg, qui était à coté du mur. Nous avons été les premiers à peindre le mur de haut en bas.

16) Quelles ont été vos réelles motivations de peindre ? Habitant que depuis 2 ans à Berlin, vous sentiez vous déjà Berlinois et presque allemand ?
Pour nous, c’est étonnant qu’un Français prennent de tels risques pour un mur étranger ! Mais nous sommes conscientes que ce mur a eu des répercutions mondiales et que étant à Berlin, vous ne pouviez pas rester indifférent. En effet, il y avait de gros risques ! J’ai eu un besoin physique de faire quelque chose contre ce mur, j’ai pris toutes les bombes de peintures que j’avais et j’ai peint. Le lendemain avec Christophe Bouchet nous avons décidé d’améliorer la méthode et de nous servir de rouleaux et d’échelles et de peindre le mur de haut en bas.

17) De quelles sortes étaient les réactions de Berlinois lorsque vous avez commencé à peindre ? Quelles étaient les plus nombreuses réactions (positives, négatives, indifférentes) ?
A mon avis personne n'avait vraiment de réactions indifférentes vis à vis du mur. Il y avait une si forte émotion lorsque que l’on voyait le mur que chacun se sentait aussitôt concerné. Au début cela a été très dur de peindre, beaucoup de gens nous disaient que nous étions payé par la mairie de Berlin pour rendre la ville plus belle. Il fallait toujours peindre et expliquer en même temps. On peut peindre des kilos de peintures sur le mur il restera ce qu’il est une machine à tuer. Il fallait toujours peindre d’un oeil, l’autre faisant attention aux Vopos et aux passants agressifs.

18) Comment s’est passée la destruction du mur ? Combien de temps cela a pris ? Qui a détruit ? Quelles étaient les réactions des Vopos lors de la réunification ?
La destruction du mur a été lente. Je me souviens que les bulldozers sont venus vers le milieu du mois d’août devant ma maison pour enlever les segments du mur. On a voulu tout de suite en effacer les traces pour faire des nouvelles rues où bien les restaurer. Le mur dans les têtes et les cœur des gens a été encore plus long a se détruire. Les Vopos ont été dépassés par les événements et ont vu, le regard sombre, les allemands de l’est passés devant eux.

19) Pourquoi avoir voulu peindre l’autre coté du mur alors qu’il allait être détruit peu de temps après ?
A partir de mi-novembre 1989, les Vopos gardaient toujours le mur mais cela était plus où moins symbolique. Ils ne pouvaient plus tirer. Les Berlinois, les touristes, le monde entier, tapaient sur le mur pour en récupérer des morceaux. On aurait cru la ruée vers l’or. La perfection du mur le détruisait. Les couleurs sur le béton se changeaient en acide qui trouait le mur. A force de taper il se créait des trous qui grossissaient de jours en jours. En février 1990, les trous étaient si gros que l’on pouvait passer à travers. Alors je prenais un plaisir à faire un pied de nez aux Vopos qui continuaient à garde le mur. Je passais á travers un trou et comme au début avec juste une bombe de peinture je peignais en vitesse juste les contours de mes têtes sur le dos du mur encore blanc. Les Vopos me voyant me criait d’arrêter et venait dans ma direction. Je les ignorais et continuer ma peinture tout en les observant du coin de l’oeil. Lorsque je les voyais trop près de moi, oups, je repassais à travers le trou. Et ainsi de suite parfois plusieurs fois à la suite. Ils étaient furieux. C'était une sorte de revanche après toutes les difficultés qu’ils noua avaient faites pendant toutes ces années de contrôles.

20) Quelle a été votre participation dans le film « Les ailes du désir»? Le réalisateur s’est-il servi uniquement de reconstitution ou bien du mur « initial » ?
J’ai rencontré Wim Wenders dans les restaurants le soir où je vendais mes tableaux. On allait dans les mêmes endroits, alors il m’a demandé en février 1987 si je voulais participer au film. Il fallait peindre sur un faux mur en bois et en même temps restaurer les vraies peintures de la Waldemarstraße à Kreuzberg. J’ai peint environ 200 mètres du mur pour le tournage. On me voit sur une échelle lors du travelling le long du mur. L’ange (Bruno Ganz) voit pour la première fois la vie en couleur.

21) Sur votre site, vous insistez sur les dangers que vous courriez en peignant vos fresques sur le mur. Aujourd'hui, avec le recul, votre acte vous paraît-il toujours aussi dangereux ?
Oui la peinture du mur était dangereuse, interdite même. Cela parait incroyable maintenant mais c’est vrai. 2 frères se sont fait arrêté en 1986 par les gardes frontières de la DDR et on été emmené à Berlin Est. Ils ont fait presque un an de prison pour avoir peint sur le mur à Potsdamer Platz. Ils ont été libéré a l’occasion du 750ieme anniversaire de Berlin en Octobre 1987. Il faut dire que le mur n’était pas la frontière et lorsque l’on peignait le mur on se trouvait déjà à Berlin Est.

22) Vous savez sans doute que des artistes de l'Est ont eux aussi peint le mur. Une opinion ?
Non les artistes de Berlin Est n’ont jamais peint le mur avant novembre 1989. Ils auraient fait des années de prison s’ils avaient été arrêté par les gardes frontières de la DDR. Ils ont peint le mur pour la première fois grâce à la peinture de Daniel Boulogne le mardi 21 Novembre 1989. Ils n’osaient pas commencer. J’y étais aussi. Pour la première fois j’allais à Berlin Est. 3 heures. De 11 à 14 heures. Le lendemain les gardes frontières avaient tous repeint en blanc.

23) Vous êtes arrivé à Berlin en 1982. A cette époque, le mur était debout depuis une vingtaine d'années. Les berlinois pensaient-ils déjà à une réunification ? Plus généralement, quelle était la place du mur dans les esprits ?
Les Berlinois ignoraient le mur pour la plus part. Ils allaient voir le mur qu’une ou deux fois pas an, par exemple avec des amis de passage ou de la famille en visite. Les gens vivaient comme sur une île artificielle. Beaucoup prenait l’avion pour aller en vacance et ainsi éviter de passer par l’Allemagne de l’est et ses corridors de transit. La DDR était loin et proche à la fois. Cela rendait parfois un peu schizophrène. 2 mondes séparés par un gouffre et qui pourtant se touchent.

24) On vous a souvent reproché d'avoir fait de vos fresques un "commerce", certains se sont même insurgés : "on ne fait pas de commerce avec la paix !" Une réponse ?
J’ai commencé a vendre des cartes postales du mur et aussi des T-shirts parce que je me suis rendu compte que des 1984 d’autre gens utilisaient mes motifs et vendaient des cartes postales et des T-shirts. Alors je me suis dis que je devais aussi en faire de même.

25) Si c'était à refaire ?
Si c'était à refaire et bien je le referais. Peut-être que je prendrais plus de photos des peintures qui ont été recouvertes ou qui sont parties en petits bouts après la chute du mur en Novembre 1989.

26) À quel âge avez vous fait votre première oeuvre ?
A partir d'avril 1984, aidé par Christophe Bouchet, Thierry Noir commença à peindre des fresques sur le mur de Berlin. Elles prirent avec les années des proportions considérables et furent rapidement reconnues par la scène artistique internationale. Il ne s'agissait pas d'embellir le mur mais de le démythifier.

27) Etait-ce sur le mur ?
Oui sur le mur de Berlin, juste devant ma porte, qui donne sur l´arrière du centre de jeune « Georg Von Rauch-Haus » ou j´ai habité entre 1982 et 2002

28) Pour quelle raison et avec qui ?
Dès le commencement de leurs fresques murales, Thierry Noir et Christophe Bouchet reçurent tout de suite toutes sortes de questions, de la part des passants. C'est ainsi qu'ils se rendirent compte qu'ils avaient fait quelque chose d'important. Ils ne pouvaient plus arrêter sinon on leur aurait en plus demandé pourquoi ils arrêtent. On leur demandait souvent pourquoi ils veulent que le mur soit beau. Ils répondaient à chaque fois: "Nous n'essayons pas d'embellir le mur parce qu'en fait c'est absolument impossible. 80 personnes ayant trouvées la mort en essayant de le franchir pour passer à Berlin-Ouest, font que l'on peut bien recouvrir le mur de Berlin de centaines de kilos de peinture, ce mur restera toujours le même." Un monstre sanglant, un vieux crocodile qui de temps en temps se réveille, mange quelqu'un et puis s'endort à nouveau, jusqu'à la prochaine fois. La peinture sur le mur de Berlin avait toujours ce côté exceptionnel, il y avait toujours une émotion en plus pour faire muter la peinture ordinaire en un acte politique exceptionnel.

29) Le fait de peindre des visage a t'il une signification particulière ou est ce juste pour une raison de rapidité ?
La peinture sur le mur avait commencé déjà fin avril de la même année pendant une nuit de pleine lune. Les premières peintures de Thierry Noir, voyaient le jour sur le mur de Berlin. Un murmure se faisait entendre. Les grands formats colorés, des grandes fresques pleines de couleurs, apportaient un changement dans ce quartier de Berlin (Kreuzberg). Il y avait à cette époque très peu de peintures sur le mur gris de 3 mètres 60 de haut. Juste des slogans mêlés les uns sur les autres. Au début Thierry Noir et Christophe Bouchet avaient beaucoup de difficultés avec les peintures du mur. Pour éviter les questions et souvent les insultes ils avaient peint les premières peintures pendant la nuit. En effet on racontait aussi beaucoup de légendes sur le mur si bien que les 2 artistes avaient peur de se faire attraper par les garde-frontières et de se faire arrêter puis emmener à Berlin-Est pour être interrogé. Voilà comment la devise des artistes du mur fut créer: Un oeil qui peint pendant que l'autre doit faire attention aux soldats. 2 idées 3 couleurs, vite on mélange le tout et la peinture est finie. Noir et Bouchet commencèrent ce 16 mai 1984 a approché ce slogan de la réalité avant de le perfectionner par la suite.

30) Quel était votre état d'esprit lorsque vous peigniez ces visages ?
Il s'agissait d'une peinture au kilomètre, qui permettait de peindre des surfaces considérables en un temps record.

31) Quels risques preniez vous ?
Le mur étant construit environ 3 mètres en retrait de la frontière officielle, les soldats est-allemands avaient ainsi le droit d'arrêter toute personne s'approchant trop près du mur. Il fallait être très rapide, toujours peindre d'un œil, l'autre faisant attention aux soldats, surtout ne pas peindre seul ou dans des endroits isolés. Il fallait aussi se tenir à l'écart de ces petites portes de béton intégrées à l’intérieur d'un segment préfabriqué. Il était absolument interdit de peindre le mur de Berlin. C'était dangereux.

32) Quel symbole rattachez vous aujourd'hui à votre action passée ?
Le mur de Berlin a été pendant 28 ans la séparation entre 2 mondes. Le monde des bons et le monde des méchants. C’était simple. Il était ainsi facile à savoir de quel coté on se trouvait. On savait même tout de suite où l´on était. Le mur divisait non seulement Berlin mais aussi l’Allemagne, l´Europe et le Monde. Maintenant le Monde est devenu beaucoup plus compliqué. Les bons et les méchants sont beaucoup plus dispersés. Parfois j’avais l´impression d´habiter dans une immense impasse. On ne pouvait pas aller plus loin. On ne pouvait que rebrousser chemin. C’était une situation complètement absurde, un peu comme dans une histoire de Raymond Devos. Ce mur je le comparais souvent à un crocodile qui dort tout le temps et qui soudain, sans crier gare, se réveille et dévore quelqu’un, en quelques secondes, avant de se rendormir jusqu´à la prochaine fois.Le mur, sa présence physique m'a provoqué, et de façon presque viscérale, m´a poussé à le peindre. Mais après tant d´années, sa présence résiste bizarrement dans les mémoires. Il persiste dans les têtes.

33) Vous êtes arrivé à Berlin en 1982. Qui étiez-vous alors ?
Je suis arrivé un 22 Janvier 1982. Le 22 Janvier, est maintenant devenu le jour de la réconciliation Franco-Allemande. J’ai grandi à Lyon et après le Bac je me suis rendu compte que mes reves d’enfants ne se réalisaient pas en France. Tous les petits boulots que je commençais devenaient vite un fiasco. Je me faisais remercier tout de suite. Alors j’ai décidé de changer de vie de quitter Lyon et de partir pour Berlin-Ouest. Je n’avais pas de billet retour alors je suis resté.

34) A quoi ressemblait la ville au début des années 80 ? Pourquoi selon vous exerçait-elle une telle attraction sur les artistes ?
Au bout de 2 semaines je me suis rendu compte que tous les gens que je rencontrais étaient artistes. Alors quand quelqu’un m’a demandé si j’étais artiste j’ai dit OUI. Je ne voulais pas devenir l’idiot du village, alors à partir de ce jour J’ai commencé à créer pour prouver aux autres et à moi-même que j’étais artiste. Alors j’ai dit que j’étais un multi talentueux. Je sais tout faire : Chanter, jouer de la guitare, me rouler par terre, écrire des poèmes, peindre, jouer du tam-tam… C’est comme ça que je suis tombé dans cette marmite de créativité qu’était Berlin-Ouest à cette époque. En effet pour se protéger comme la vie artificielle de Berlin entourée par un mur, il fallait être soi-même créatif, pour se sentir vivre, pour ne pas tomber dans la mélancolie douce. La vie étant si artificielle la seule façon de se sentir humain passait par la création personnelle.

35) A quoi ressemblait alors le mur, et plus généralement les murs de la ville ? Qu’y voyait-on ? Graffitis d’inspiration new-yorkaise ? Affiches ? Y avait-il dans le Berlin de ces années-là quelque chose comme une scène « street art » comme il en existait une à Paris ? Si oui, quels en étaient les artistes phares ?
Le mur de Berlin au début des années 80 n’était presque pas peint. Il n’a avait que des slogans de 3 sortes différentes : Anti-Américains (US go home !), antiturques (Les Turques dehors !) et aussi tous les messages personnels, genre « Michael était là ! ». Les lettrages comme à New York n’existaient pas. Il faut dire que le mur n’a était « peinable » qu’à partir de la fin des années 70 quand la DDR a amélioré le mur et a remplacé les parpaings par des segments préfabriqués lisses de 120 cm de large et 360 cm de haut. En effet au début du mur et jusqu'à la fin des années 70, la qualité médiocre des blocs de béton, puis des premiers panneaux préfabriqués empêchait quasi automatiquement toute peinture. Les rares graffitis étaient des énormes phrases écrites à la peinture blanche, qui se distinguaient mal. Les soldats travaillèrent et transformèrent le mur jusqu'au début des années 80 pour en faire une frontière parfaite, construite pour durer au moins 100 ans.

36) Quand vous avez commencé à peindre sur le mur, quelles étaient vos références en matière d’art ? Vos sources d’inspiration ?
Je suis arrivé à Berlin, je ne connaissais rien de la ville et la première fois que j’ai vu le mur je l’ai trouvé petit. Je me suis dit « C’est ça le mur de Berlin on est fait toute une histoire ! » Je m’imaginais un mur de 10 mètres de haut, alors qu’en fait il ne fait que 3,60 mètres. Plus tard j’ai compris que la force de ce mur c’était sa largeur. Le mur était une machine à tuer, un appareil, bien organisé, une bande de terrain d’environ 50 mètres de large fermée par 2 murs, un à l’est que l’on voyait au loin et un à l’ouest que l’on pouvait toucher. Je suis arrivé à Berlin en janvier 1982 mais je n’ai commencé à peindre que fin avril 1984. On croyait que j’étais payé par la ville de Berlin pour décorer le quartier, alors j’expliquais que même si l’on peint des centaines de kilos de peintures sur le mur, le mur ne sera jamais beau. Petit à petit les passants comprenaient ce que je voulais dire mais c’était dur parce que le recouvrement complet du mur avec de la peinture était quelque chose de nouveau. Tout ce qui est nouveau dérange un peu. J’ai tout de suite peint ce que j’ai voulu, et cela a plu tout de suite aux gens.

37) Dans quelles circonstances avez-vous commencé à peindre sur le mur ? Pouvez-vous raconter votre première fresque ?
Fin avril 1984, une nuit de pleine lune j’ai pris toutes mes réserves de sprays et j’ai peint 2 petits chiens. Ce même motifs m’avait valu la porte à la CRAM de Lyon en été 1980. Le grand chef de la CRAM, faisant un control général avant de partir en vacances, s’était reconnu dans mon dessin laissé dans le bureau un vendredi soir et avait exigé mon licenciement. Il venait de recevoir la Légion d’Honneur et croyait que je l’avais caricaturé. J’ai pris ma revanche 4 ans plus tard.
Voici la photo :
http://www.galerie-noir.de/MauerPhotosMini/pages/Img0079Mini.htm

38) D’une manière générale, comment procédiez-vous ? Christophe Bouchet vous accompagnait-il systématiquement ? A quel moment de la journée (ou de la nuit) peigniez-vous ? Quels étaient vos lieux de prédilection ?
Au début avec Christophe Bouchet, on peignait la nuit, mais après 3 semaines, en mai 1984, pendant un tournage avec une télévision de Berlin, on s’est tellement fait photographier en long et en large par les gardes-frontières de la RDA qu’ensuite j’ai continué à peindre quand je voulais, je ne faisais plus attention à l’heure.
Voici l’histoire : Rencontre avec les garde-frontières
http://www.galerie-noir.de/ArchivesFrench/rencontre.html

39) Rencontriez-vous d’autres peintres ? Quelles étaient alors vos relations ?
La plupart des allemands ignoraient le mur, aussi les artistes. C’était comme un tabou dans leurs vies. Ils venaient voir le mur une fois par an avec de la famille où des amis, pour leurs montrer le mur et puis c’était tout. Certains faisaient un détour pour ne pas passer près du mur. Les 2 autres artistes qui peignaient le mur à par moi étaient un Français Christophe Bouchet et un allemand Kiddy Citny. Entre Avril 1984 et la fin du mur j’ai peint avec Christophe Bouchet et Kiddy Citny environ 5 kilomètres du mur de Berlin qui faisait 45 kilomètres de long entre Berlin-Est et Berlin-Ouest. Je peignais, avec de petits rouleaux, des grandes fresques, 2 idées 3 couleurs on mélange le tout et voilà la peinture est finie. On changeait le monde en 10 minutes.

40) Aviez-vous par ailleurs une pratique artistique sur toile ou d’autres supports ? Quelles étaient vos relations avec la scène artistique locale ?
Les passants souvent me demandaient « la même chose mais sur toile et en plus petit ». Alors je peignais aussi parallèlement des tableaux, ce qui me permettait de vivre de mon travail. Cela a été mon rêve d’enfant et aussi la raison pour laquelle je suis resté à Berlin.

41) Il était alors interdit de peindre sur le mur. Quelle incidence cette interdiction a-t-elle eu sur votre manière de peindre ? En quoi a-t-elle influencé votre esthétique ?
Le mur, sa présence physique m'a provoqué, et de façon presque viscérale, m´a poussé à le peindre. J’ai eu un besoin physique de faire quelque chose contre ce mur. Mais après tant d´années, sa présence résiste bizarrement dans les mémoires. Il persiste dans les têtes. Le mur divisait non seulement Berlin mais aussi l’Allemagne, l´Europe et le Monde. Maintenant le Monde est devenu beaucoup plus compliqué. Les bons et les méchants sont beaucoup plus dispersés.

42) Votre style est naïf et coloré. Pourquoi ce choix ?
C’est mon style. Il s’est imposé de lui-même en peignant tous les jours sur le mur de Berlin. Je l’ai adapté à la situation car en même temps je devais expliquer pourquoi. J’ai même créé un manifeste pour la peinture rapide : Le Fast-Form-Manifest: 2 Idées, 3 couleurs, on mélange le tout et la fresque est finie.

43) Signiez-vous vos fresques ? Pourquoi (pas) ?
Je signais mes peintures sur le mur de temps en temps, pas tout le temps. De toute façon on reconnaissait tout de suite mon style, je n’avais pas besoin de signer.

44) Quelle était d’une manière générale la réception de vos travaux ? Comment étaient-ils perçus, interprétés ?
C'était dangereux. Dès le commencement de nos fresques murales, nous reçurent tout de suite toutes sortes de questions, de la part des passants. C'est ainsi qu'on se rendit compte qu'on avait fait quelque chose d'important. On ne pouvait plus arrêter sinon on nous aurait en plus demandé pourquoi nous avons arrêté. On nous demandait souvent pourquoi nous voulions rendre le mur beau. On répondait à chaque fois: "Nous n'essayons pas d'embellir le mur parce qu'en fait c'est absolument impossible. 80 personnes ayant trouvées la mort en essayant de le franchir pour passer à Berlin-Ouest, font que l'on peut bien recouvrir le mur de Berlin de centaines de kilos de peinture, ce mur restera toujours le même." Un monstre sanglant, un vieux crocodile qui de temps en temps se réveille, mange quelqu'un et puis s'endort à nouveau, jusqu'à la prochaine fois. La peinture sur le mur de Berlin avait toujours ce côté exceptionnel, il y avait toujours une émotion en plus pour faire muter la peinture ordinaire en un acte politique exceptionnel.

45) Diriez-vous que votre projet était politique ? Pourquoi (pas) ?
La peinture sur le mur de Berlin avait toujours ce côté exceptionnel, il y avait toujours une émotion en plus pour faire muter la peinture ordinaire en un acte politique exceptionnel. La peinture sur le mur était automatiquement politique, et il était indispensable d'expliquer pourquoi, tout en peignant. Certaines personnes étaient agressives, et il fallait souvent leur répéter que nous n'étions pas engagés par la mairie de Berlin pour rendre la ville plus belle.

46) Vous avez dit que la peinture n’annulait en rien le symbole terrible qu’était le mur. Dès lors, pourquoi y peindre ?
C’était une nécessité. Un murmure se faisait entendre. Les grands formats colorés, des grandes fresques pleines de couleurs, apportaient un changement dans ce quartier de Berlin (Kreuzberg). Une sorte de mutation de la culture. Nulle part ailleurs en Europe il y avait des fresques aussi longues en plein centre-ville. Cette mutation de la culture rejoignait la mutation de la nature dut au mur : Les lapins. Il y en avait des milliers qui vivaient entre les deux murs.

47) A propos des œuvres qui couvraient le mur, vous évoquez « des graffitis industriels sur une frontière meurtrière ». Pourquoi le terme « industriel » ? Pouvez-vous expliciter ?
La peinture sur le mur est passée très vite de graffitis à une peinture au kilomètre. Il fallait organiser cela, trouver toujours plus de peintures et de matériels. Voilà pourquoi j’ai appelé à la peinture du mur « graffitis industriels ».

48) Quelle était en moyenne la durée de vie de vos fresques ? Les autorités les effaçaient-elles ?
Il faut dire que le mur n’était pas la frontière et lorsque l’on peignait le mur on se trouvait déjà à Berlin Est. Le mur étant construit environ 5 mètres en retrait de la frontière officielle, les soldats est-allemands avaient ainsi le droit d'arrêter toute personne s'approchant trop près du mur. La police de Berlin-Ouest n’avait pas le droit de pénétrer cette bande de terrain. Il y avait à cette époque très peu de peintures sur le mur gris de 3 mètres 60 de haut. Juste des slogans mêlés les uns sur les autres. Voilà comment la devise des artistes du mur fut créée: Un œil qui peint pendant que l'autre doit faire attention aux soldats. 2 idées 3 couleurs, vite on mélange le tout et la peinture est finie. Au début j’étais furieux quand quelqu’un écrivait son nom au milieu de ma fresque ensuite j’ai compris que je devais rénover ma peinture aussi vite qu’elle avait été détruite. Cela évitait la frustration.

49) Quand le mur est tombé, une vente aux enchères a été organisée à Monaco. Dans le catalogue, nombre d’œuvres vous sont attribuées. Pouvez-vous raconter l’action que vous avez menée en justice contre les organisateurs de cette vente aux enchères ? Quelle en a été l’issue ? Pourquoi était-il important pour vous de mener cette action ?
Les peintures sur le mur sont devenues après la chute du mur de Berlin, du jour au lendemain, quelque chose de sacré, d'une valeur inestimable. Les gens de passage, les berlinois, le monde entier voulait venir à Berlin pour en récupérer un petit morceau. Par tous les temps, de jour comme de nuit, on entendait les coups de marteau résonner sur le béton. C'était une sorte d'hystérie collective : Une moderne ruée vers l'or. C'est ainsi que fin janvier 1990, les soldats démontèrent segments après segments toute la longueur du mur de la Waldemarstrasse à Kreuzberg. Curieusement cette partie de mur n'avait pas été démolie par les gens de passage, car sur la parcelle de terrain de 3 mètres de large devant le mur, et qui appartenait à Berlin-Est, vivaient tout le long de ce mur, des jeunes gens dans des caravanes, des vieux bus, des roulottes de chantiers. Toutes les personnes qui s'étaient fait expulser à partir de 1983 des squats de Berlin-Ouest, avaient trouvé, ce moyen pour pouvoir continuer leur vie. En effet la police de l'ouest n'avait pas le droit de pénétrer sur cette bande de terrain. Voilà pourquoi, les personnes avides de récupérer un morceau de mur, ne purent pas casser cette partie colorée du mur à Kreuzberg. Elles se faisaient tout de suite chasser par les habitants de ces roulottes. Les segments de mur furent retirer en parfait état, numérotés et photographiés. Un catalogue fut ensuite imprimé, avec 81 segments, dont 33 segments de mur peints par Thierry Noir et 12 par Kiddy Citny. La vente aux enchères eut lieu à Monaco le 23 juin 1990, et rapporta avec nos 2 noms: 2,5 millions d´euros. Christophe Bouchet n'avait pas peint sur cette partie du mur. Après 10 ans de procédure nous avons touché 10% de la somme.

50) Vers quoi votre travail s’est-il orienté après la chute du mur ?
Apres la chute du mur j’ai peint environ 15 Trabants pour le groupe irlandais U2. Ces voitures sont devenues le symbole de la DDR perdue. Les citoyens de la RDA ont perdu leur identité. On leur a dit : Tout ce que vous avez appris à l’école : Oubliez-le. Tous ce que vous avez fabriqués : Poubelle. Vos vêtements vos voitures et vos meubles : ringard. Beaucoup de gens ont eu le sentiment d’être abandonné.

51) Vous vivez toujours à Berlin. Que pensez-vous de la scène « street art » contemporaine, et notamment des nombreuses fresques qui ornent les murs de Kreuzberg ? Ces murs vous paraissent-ils un prolongement de ceux que vous avez peints ? Les regardez-vous au contraire comme une pratique bien différente de la vôtre ?
Les jeunes artistes me considèrent comme un précurseur du Street-Art. Ce qui était considéré comme du graffiti est maintenant dans les musées.

52) Quels sont vos projets actuels ?
Peinture d’une fresque de 2 x 10 mètres pour un projet mélangeant le Basket de rue (Street-Ball), le Street-Art et du Street Dance.

53) Quels sont pour vous les différents traits de caractère qui vous ont poussé à aller peindre dans la rue ?
Je n’ai pas vraiment peint dans la rue mais sur le mur de Berlin qui était juste devant ma maison. Le trottoir qui longeait le mur faisait déjà parti de Berlin-Est. Le mur n’était pas la frontière est-ouest. Il a été bâtit environ á 5 mètres derrière la ligne de démarcation.

54) En sachant que vous appartenez au milieu underground de Berlin, ne trouvez-vous pas que monter une galerie est une façon de rentrer dans les clous ?
Il faut bien vivre de son travail. En montrant mes tableaux et en les vendant je n’ai jamais eu l’impression de perdre mon âme. Les passants souvent me demandaient « la même chose mais sur toile et en plus petit ». Alors je peignais aussi parallèlement des tableaux, ce qui me permettait de vivre de mon travail. Cela a été mon rêve d’enfant et aussi la raison pour laquelle je suis resté à Berlin. J’ai commencé à vendre des cartes postales du mur et aussi des T-shirts parce que je me suis rendu compte que des 1984 d’autre gens utilisaient mes motifs et vendaient des cartes postales et des T-shirts. Alors je me suis dit que je devais aussi en faire de même.

55) Pensez-vous que les images que vous posiez en ville, vous ont fait de la publicité ?
Il y avait des gens qui trouvaient mes peintures sur le mur : géniales. D’autres 5 minutes plus tard trouvaient que leur fils de 4 ans faisait la même chose à la maison. Certains m’insultaient car ils pensaient que j’étais payé par la mairie de Berlin pour rendre le mur plus beau.

56) Est ce que Berlin est vraiment une ville particulière en terme de création urbaine ?
Berlin est devenue un centre de création en Europe car la vie n’y est pas chère. Il est possible de faire à Berlin ce qu’on a rêvé de faire à Paris ou bien à Londres

57) Qu’est-ce que ça fait d’être un des premiers graffeurs du Mur de Berlin ?
Les jeunes d’aujourd’hui me considèrent comme un pionnier du Street-Art à Berlin. Je leur dis à chaque fois qu’il ne faut pas chercher à imiter quelqu’un car comme la dit Andy Warhol : Cela même pour sûr dans une impasse.

58) Pourriez-vous me dire dans quels contextes et quels motivations vous ont poussé à aller taguer le Mur ?
J’ai commencé à peindre le mur de Berlin en avril 1984, 2 ans après ma venue dans la ville. On peut dire que cela a été une lente compréhension de ce qu’était le mur. Une énorme machine à tuer, une espèce de crocodile qui de temps en temps se réveillait et mangeait une ou plusieurs personnes pour se rendormir ensuite jusqu’à la prochaine fois. Il fallait que je fasse quelque chose contre ce mur, je vivais dans un centre de jeunes, dont les fenêtres donnaient directement sur le mur. Je voyais ce mur l’hiver, l’été, la nuit, le jour et ce n’était vraiment pas comme dans la chanson Berlin de Lou Reed de 1974, où il chantait :
It was so nice it was paradise, Berlin by the wall.
http://www.youtube.com/watch?v=4be4Az5BM-c

59) Pourriez-vous citer quelques anecdotes ?
Voici une anecdote de Mai 1984 le long du mur: Rencontre avec les garde-frontières
http://www.galerie-noir.de/ArchivesFrench/rencontre.html

60) Avez-vous vu le mur comme un support d’expression ?
Je suis arrivé à Berlin, je ne connaissais rien de la ville et la première fois que j’ai vu le mur je l’ai trouvé petit. Je me suis dit « C’est ça le mur de Berlin on est fait toute une histoire ! » Je m’imaginais un mur de 10 mètres de haut, alors qu’en fait il ne fait que 3,60 mètres. Plus tard j’ai compris que la force de ce mur c’était sa largeur. Le mur était une machine à tuer, un appareil, bien organisé, une bande de terrain d’environ 50 mètres de large fermée par 2 murs, un à l’est que l’on voyait au loin et un à l’ouest que l’on pouvait toucher. Je suis arrivé à Berlin en janvier 1982 mais je n’ai commencé à peindre que fin avril 1984. On croyait que j’étais payé par la ville de Berlin pour décorer le quartier, alors j’expliquais que même si l’on peint des centaines de kilos de peintures sur le mur, le mur ne sera jamais beau.

61) Votre geste vous semblait-il politisé ?
Comme il était interdit de peindre sur le mur, le fait même d’écrire son nom sur le mur était déjà un acte politique. Il fallait toujours peindre et expliquer en même temps. On peut peindre des kilos de peintures sur le mur il restera ce qu’il est une machine à tuer. Il fallait toujours peindre d’un oeil, l’autre faisant attention aux Grepos et aux passants agressifs.

62) Qu’est ce qui fait la spécificité d’un graffeur qui « pose » sur le Mur ?
Il y avait à Berlin Ouest une bulle créative. Plein de gens différents venus d’horizons différents se sont retrouvés dans cette bulle. La vie avec le mur n’était pas si rose que cela et même pendant l’hiver très dur. Il fallait être créatif et le rester pour survivre la situation d’isolation artificielle, crée par le mur et une certaine schizophrénie crée par le mur. Je suis tombé dans cette bulle dès le début de mon séjour. Cela n’était pas du tout une démarche intellectuelle mais plutôt une impression de faire quelque chose pour ne pas devenir mélancolique où bien sombrer dans la dépression, la Berliner Krankheit (La maladie de Berlin).

63) Pensez-vous que votre art s’inscrit dans le temps, d’une manière durable ou qu’il fait partie d’une époque spécifique ?
La peinture du mur a survécu le mur. La peinture sur le mur c’était une nécessité. Un murmure s'est fait entendre. Les grands formats colorés, des grandes fresques pleines de couleurs, apportaient un changement dans ce quartier de Berlin (Kreuzberg). Une sorte de mutation de la culture. Nulle part ailleurs en Europe il y avait des fresques aussi longues en plein centre-ville. Cette mutation de la culture rejoignait la mutation de la nature dut au mur : Les lapins. Il y en avait des milliers qui vivaient entre les deux murs. Mes peintures sont devenues le symbole de la liberté retrouvée après la réunification des deux Allemagnes, et la fin de la guerre froide.

64) Pouvez-vous nous parler de votre œuvre ?
Ma peinture sur le mur de Berlin a été dès son commencement, en avril 1984, motivé politiquement. A l’époque, il était interdit de peindre le mur, car étant construit 5 mètres en retrait de la ligne est-ouest il était entièrement sur le territoire de Berlin-Est. Les deux côtés du mur étaient à l’Est. Le fait de faire pipi sur ce mur était déjà considéré comme un acte politique. A cette époque je peignais le mur pour protester contre cette frontière mortelle devant ma porte, ma maison était à 10 mètres du mur. Maintenant en 2012 je peins le mur comme un symbole de la nouvelle liberté retrouvée en Europe. La peinture sur le mur est un genre d’alibi pour dire aux jeunes générations: Ne refaites pas les erreurs de vos parents.

65) Comment nommez-vous vos œuvres ?
Hommage aux jeunes générations. C'est un hommage à la jeunesse perpétuelle. A chaque génération les jeunes viennent soudainement et indiquent qu’ils vont tout faire: beaucoup plus rapide, beaucoup plus beau, beaucoup mieux que tout qui a été fait dans le passé.

66) Que vous pensez de la liberté d'expression par la peinture ?
Les jeunes artistes me considèrent comme un précurseur du Street-Art. Ce qui était considéré comme du graffiti est maintenant dans les musées. La peinture peut changer le monde. La peinture sur le mur de Berlin dans les années 1984-1989 à montré aux gens que ce mur mythique n'était en fait pas éternel. Les objets, ridicules sur le mur de Berlin, ont été plus tard remarqués par les soldats est-allemands, soigneusement photographiés, démontés, puis confisqués. Les peintres du mur voulaient recouvrir le mur de peinture, l'empaqueter de couleurs (voir Christo), le rendre lumineux pour le montrer comme une mutation de la ville, mutation de l'art et de la nature. En effet dans le no man's land se situant derrière le mur vivaient des centaines de lapins. On pouvait les voir nettement gambader à Potsdamerplatz. Enfin la mutation de l'art, faisant de Berlin une des plus importante ville du monde. De nombreux artistes s'y donnant rendez-vous, sentant instinctivement que cette ville avait ce quelque chose de plus qui donne envie de créer. Il existait à Berlin une atmosphère d'urgence qui poussait les artistes à se surpasser pour survivre en créant.

67) Qu'implique la transformation d'une création contestataire en une œuvre de mémoire ?
Bizarrement entre Avril 1984 et Février 1990 nous avons peint le mur en protestant contre lui pour le faire partir. Un murmure se faisait entendre. Les grands formats colorés, des grandes fresques pleines de couleurs, apportaient un changement dans ce quartier de Berlin (Kreuzberg). Une sorte de mutation de la culture. Nulle part ailleurs en Europe il y avait des fresques aussi longues en plein centre-ville. Cette mutation de la culture rejoignait la mutation de la nature dut au mur : Les lapins. Il y en avait des milliers qui vivaient entre les deux murs.
A partir de Mars 1990 et la East-Side-Gallery nous avons peint le mur pour protester contre sa disparition trop rapide. La peinture sur le mur est devenue tout à coup un genre d’alibi, pour garder ce symbole de la nouvelle liberté retrouvée en Europe. Il était possible de peindre le mur des deux cotés. Nous voulions conserver cet objet de mémoire pour dire aux jeunes générations: Attention ! Ne refaites pas les erreurs de vos parents, si vous oubliez votre passé il vous reviendra un jour en pleine figure.

68) Comment êtes-vous arrivé à la maison "Georg-von-Rauch-Haus" en janvier 1982 ?
J’avais rencontré pour le réveillon du premier de l’an que j’avais passé à Lyon une femme qui m’avait dit : « Tu vas à Berlin. Cela tombe bien. Mon meilleur ami habite à Berlin. Vas le voir de ma part. Tu peux rester chez lui aussi longtemps que tu veux.
En arrivant chez cette personne le premier jour vers 9 heures du matin, je me suis tout de suite rendu compte que cette personne n’était pas du tout le meilleur ami de la Lyonnaise, il se souvenait à peine de son nom et ne parlait pas français. La personne qui devait m‘héberger m’a fait comprendre au bout de 2 jours que je devais chercher un autre endroit. Je n’ai pas paniqué car j’étais naïvement certain de trouver la maison dont parle Lou Reed dans sa chanson de 1973, Berlin. “It was so nice it was paradise, Berlin by the wall, Dubonnet on ice.”
Je n’étais pas très loin du mur alors je suis parti ce lundi 25 Janvier 1982 vers 8:00 heures du matin, toujours tout droit jusqu’à la fin de l’Adalbertstrasse et là arrivé devant le mur je me suis dit : »
Alors maintenant Thierry? A droite ou à gauche ?
Il était pour hors de question de retourner en arrière. Au loin je voyais une grosse église (la Thomas Kirche), des bâtiments et des arbres alors je suis allé vers la droite. A peine fait 150 mètres je suis tombé sur la Georg-von-Rauch-Haus, le centre de jeune au j’ai habité 20 ans et demi. J’étais persuadé que c’était la maison dont parlait Lou Reed. Beaucoup de temps plus tard il a révélé dans une interview qu’en fait il n’était jamais allé à Berlin et avait écrit la chanson à partir de livres loués dans une bibliothèque de New York.

69) Pourriez-vous nous remettre dans le contexte de l'époque, qui fait appel à vous pour peindre le mur ? Quelle est l'ambiance autour de vous, les conditions de travail et qu'est-ce que ce mur représente dans votre esprit ?
Je suis parti de France début 1982 car je me demandais pourquoi plein d’artistes allaient tous vivre à Berlin et non pas à Lyon ou j’habitais. J’ai habité à partir de Janvier 1982, à Berlin-Ouest dans le quartier de Kreuzberg, dans un centre de jeune, directement devant le mur. La maison étant construit si près du mur on voyait très bien les soldats dans le mirador entre les deux murs. Ils nous observaient à la jumelle même quand on était dans la salle de bain. Une ambiance genre « Bonjour Tristesse ».
La vie à Berlin n’était pas du tout comme dans la chanson de Lou Reed de 1973 « Berlin » qui chantait : » In Berlin, by the wall / You were five foot ten inches tall / It was very nice / Candlelight and Dubonnet on ice «
http://fr.wikipedia.org/wiki/Lou_Reed
Voila pourquoi après deux ans de cette vie près du mur ou il ne se passait pas grand-chose j’ai décidé, pour ne pas devenir fou ou déprimer, de peindre ce mur. Le mur, un matin de fin avril 1984, m’a murmuré « peins-moi ! »

70) Quelle est la surface que vous avez peinte à l'origine ? Des segments du mur signés Thierry Noir ont été exportés aux quatre coins du monde, est-ce votre propre décision, ces œuvres ont-elles cédées ?
J’ai peint environ 5 km de mur entre Avril 1984 et février 1990.
Les segments du mur ont été vendus sans mon accord. Il a fallu 10 ans de procès pour obtenir 10% du résultat de la vente.

71) Parlez-nous un peu de votre style et de la symbolique de vos personnages ?
Pour la radio je décris mes peintures comme les cousines et les cousins du petit chaperon rouge. Ils ont en effet tous des grosses bouches, des gros nez, des grandes oreilles et des gros yeux. Ils sont aussi un hommage aux jeunes générations qui tous les 10 ans disent au monde entier qu’ils vont faire mieux que leurs parents.

72) Pourquoi avez-vous choisi en 1984 de peindre le Mur de Berlin ? Etait-ce vos toutes premières œuvres?
Je ne suis pas venu à Berlin-Ouest pour peindre le mur de Berlin. Apres 2 ans de vie près du mur j’ai eu le besoin de faire quelque chose contre ce mur angoissant. Une sorte de réaction physique contre la pression de la vie quotidienne à côté du mur de Berlin. Le dos de ma maison, mon centre de jeunes où je demeurais, était à 5 mètres du mur. Le mur étant construit lui-même à 5 mètres en retrait de la frontière officielle, les soldats est-allemands avaient ainsi le droit d'arrêter toute personne s'approchant trop près du mur. Il fallait être très rapide, toujours peindre d'un œil, l'autre faisant attention aux soldats, surtout ne pas peindre seul ou dans des endroits isolés. Il fallait aussi se tenir à l'écart de ces petites portes de béton intégrées à l’intérieur d'un segment préfabriqué. Il était absolument interdit de peindre le mur de Berlin. Christophe Bouchet habitait aussi dans ce centre de jeunes.

C'était dangereux. Dès le commencement des fresques murales, Thierry Noir et Christophe Bouchet reçurent tout de suite toutes sortes de questions, de la part des passants. C'est ainsi qu'ils se rendirent compte qu'ils avaient fait quelque chose d'important. Ils ne pouvaient plus arrêter sinon on leur aurait en plus demandé pourquoi ils arrêtent. On leur demandait souvent pourquoi ils veulent que le mur soit beau. Ils répondaient à chaque fois:

"Nous n'essayons pas d'embellir le mur parce qu'en fait c'est absolument impossible. 80 personnes ayant trouvées la mort en essayant de le franchir pour passer à Berlin-Ouest, font que l'on peut bien recouvrir le mur de Berlin de centaines de kilos de peinture, ce mur restera toujours le même."
Un monstre sanglant, un vieux crocodile qui de temps en temps se réveille, mange quelqu'un et puis s'endort à nouveau, jusqu'à la prochaine fois. La peinture sur le mur de Berlin avait toujours ce côté exceptionnel, il y avait toujours une émotion en plus pour faire muter la peinture ordinaire en un acte politique exceptionnel.
http://www.galerie-noir.de/ArchivesFrench/LebenAnDerMauerFR.html

73) "Je peignais le mur pour le faire tomber", expliquez-vous dans l'un de vos textes. En quoi le fait de le peindre pouvait faire tomber le mur?
Je voulais montrer aux gens que ce mur mythique n'était en fait pas éternel. Je voulais recouvrir le mur de peinture, l'empaqueter de couleurs, le rendre lumineux pour le montrer comme une mutation de la ville, mutation de l'art et de la nature. En effet dans le no man's land se situant derrière le mur vivait des centaines de lapins. On pouvait les voir nettement gambader à Potsdamerplatz. Enfin la mutation de l'art, faisant de Berlin une des plus importantes villes du monde pour le Street-art qu’on appelait encore « Graffiti ». De nombreux artistes s'y donnant rendez-vous, sentant instinctivement que cette ville avait ce quelque chose de plus qui donne envie de créer. Il existait à Berlin une atmosphère d'urgence qui poussait les artistes à se surpasser pour survivre en créant.

J’ai commencé à peindre le mur de Berlin en avril 1984, 2 ans après ma venue dans la ville. On peut dire que cela a été une lente compréhension de ce qu’était le mur. Une énorme machine à tuer, une espèce de crocodile qui de temps en temps se réveillait et mangeait une ou plusieurs personnes pour se rendormir ensuite jusqu’à la prochaine fois. Il fallait que je fasse quelque chose contre ce mur, je vivais dans un centre de jeunes, dont les fenêtres donnaient directement sur le mur. Je voyais ce mur l’hiver, l’été, la nuit, le jour et ce n’était vraiment pas comme dans la chanson Berlin de Lou Reed de 1974, où il chantait :
It was so nice it was paradise, Berlin by the wall
https://www.youtube.com/watch?v=w9tkbMnp7tM

74) Vous avez peint le Mur avec Christophe Bouchet et Kiddy Citny. Pouvez-vous me raconter votre rencontre?
J’ai rencontré Christophe Bouchet dans la rue. Il peignait devait un passage commercial près du consulat Français, le long du Kurfürstendamm, la grande avenue du centre de Berlin-Ouest.
J’ai rencontré Kiddy Citny dans la discothèque « Dschungel » dans la Nürnbergerstrasse 53, le rendez-vous de tous les artistes et leurs amis.
http://dschungelberlin.de/Home.html

75) Concernant l'exposition, elle présente des morceaux du mur peint par les artistes du street art, quelles sont la portée et la symbolique de cette mise en scène du mur de Berlin?
Il est possible de peindre le mur des 2 cotés, ce qui n’était pas possible entre 1961 et 1990.
Les graffitis d’antan ne sont pas morts, à l’inverse du mur. Ces graffitis sont devenus un mouvement mondial : Le Street-Art.

76) Enfin, qui sont ces personnages colorés aux lèvres charnues qui peuplent vos fresques ?
Ces personnages se sont développés petit à petit en peignant tous les jours des longues fresques sur le mur de Berlin. Comme il était interdit de peindre le mur il fallait aller vite. Ces têtes se sont imposées d’elles-mêmes.