LA MÉMOIRE DU MUR

Le mur, il l´a toujours détesté. « II me rappelait le crocodile de mon enfance, à Lyon, au parc de la Téte-d'Or . Assoupi mais prêt à vous dévorer » 

En 1982. Thierry Noir, vingt-trois ans, débarque à Berlin-Ouest. « Je vivais alors pour la musique. David Bowie, Iggy Pop, et Lou Reed m’avaient précédés. Je sentais que cette ville avait quelque chose de spécial. » Il habite un centre de jeunes, un ancien squat, sur Mariannenplatz, le nez sur le mur.

« C'était une sorte de Légo géant, fait de segments de béton préfabriqués, couverts de graffitis, de slogans. Les Vopos le gardaient sans relâche. De ma fenêtre, je voyais les immeubles de cinq étages, à l'Est. Jamais les gens n´apparaissaient au balcon. Lugubre! »

En 1984. avec un ami, Christophe Bouchet, Thierry décide de peindre le mur : «Non pour embellir ce monstre sanglant mais pour le démythifier» Ils sont les premiers, vite imités. Un acte politique dangereux. Le mur est construit cinq mètres en retrait de la frontière. Les Vopos ouvrent des portes aménagées dans le béton, arrêtent quiconque qui s´approche de trop prés.

Perché sur une échelle. Thierry peint, très vite, au rouleau, de grosses tètes aux couleurs vives. Bientôt il réalise, sur quatre kilomètres. la plus longue fresque connue. En 1987, Wim Wenders lui confie les décors de son film "les Ailes du désir". C'est la célébrité. Deux ans plus tard. le mur tombe. Que son œuvre disparaisse ne l'affecte nullement.

« Soudain, le monde entier voulait en récupérer un petit morceau... J'ai pu, enfin, emmener ma fille Charlotte, a l’époque âgée d´un an et demi, jouer dans un jardin, juste en face. Et peindre le mur au verso ! » Thierry dit encore que Berlin a fait de lui un artiste engagé : « J'étais français, je suis devenu européen. »

Aujourd'hui, une de ses Trabant "détournées" stationne devant le musée de Checkpoint Charlie. On le réclame partout : au Japon, en Angleterre, en Finlande, en Russie, à Chypre. Ses tableaux, les objets que déclinent sa galerie de Nollendorfstrasse font un tabac. Toujours aussi modeste et charmant, il prépare une exposition pour le dixième anniversaire de la chute du mur. " Un collectionneur détient près de trois tonnes de segments énormes, blancs. Il m'a demandé de les peindre. J'ai dit oui. Simplement pour montrer qu'un mur, ce n'est pas fait pour l'éternité.